Pour ce challenge UPro-G de septembre, il fallait écrire sur « une personnalité locale ». Comme je vous parle déjà régulièrement des célébrités seine-et-marnaises, j’ai décidé de faire encore plus local en évoquant une personnalité de chez moi : Lieusaint.
Or, sur Wikipédia.org, à la rubrique « Personnalités liées à la commune » de la page « Lieusaint (Seine-et-Marne) » figure un seul nom : Jean-Baptiste Gobert-Martin (1848-1921). Il se trouve que je connais bien le cimetière communal ; je sais donc que le nom « Gobert-Martin » figure sur l’immense caveau qui domine le lieu. Or, sur celui-ci ne figurent pas un, mais huit noms.
Nous allons donc nous intéresser non pas à un individu, mais à une petite dynastie !
Un petit récapitulatif pour ne pas vous perdre – Spyridon Généalogie
Les membres de la famille seront présentés par ordre chronologique de naissance.
1. Jean-Baptiste Gobert
Né le 2 août 1849 à Pouilly-sur-Meuse (Meuse) ; mort le 24 décembre 1921 à Paris (IIe arrondissement).
Jean-Baptiste Gobert – collection Jean-Philippe Secordel-Martin
Il est le fils du menuisier meusien Alphonse Gobert et de Marie Jeanne Lamotte, propriétaires fonciers. Jean-Baptiste ne reste pas longtemps près des siens : dès sa majorité, il part faire fortune en Belgique, avec un commerce de draperie et de confection à Verviers.
Fort de cette expérience, il rencontre Félix Martin, directeur des grands magasins Thiéry (Bruxelles, Mons, Saint-Ghislain) et épouse sa fille Lucia. Ils partent à Paris, où Jean-Baptiste a le projet d’ouvrir son propre « grand magasin ». Ceux-ci s’appelleront « À Réaumur », du nom de la rue dans laquelle ils s’installent en 1896, entre le numéro 82 et le numéro 96. Inaugurés en 1897, leur succès repose sur le prêt-à-porter de qualité, et sur le pari de la vente par correspondance. Ils sont agrandis dès 1900, car l’affluence est trop importante. Des ateliers appartenant au désormais « groupe Gobert » sont installés à Paris, Arras, Lille, et Montluçon.
Bien que loin de ses parents, Gobert n’avait pas oublié ses origines : il recevait particulièrement bien les Meusiens de passage, et favorisait l’emploi de Lorrains. Propriétaire d’un château à Lieusaint, il y crée une fondation pour recueillir ses employés malades ou âgés. Cette action lui fabrique une image de philanthrope, et de « papa patron » aux petits soins pour ses employés. Il ne faut pourtant pas oublier certains événements relatés par la presse nationale : en 1906, Jean-Baptiste Gobert ignore tout simplement la loi sur le repos hebdomadaire, et l’on manifeste devant son domicile. En 1910, lors des grèves nationales, À Réaumur n’est pas épargné, en raison des salaires bien modestes. Il laisse la direction des grands magasins en héritage à sa veuve, après sa mort à Noël 1921. Il vit alors toujours dans les appartements du 82, rue Réaumur, au dernier étage.
2. Lucia Marie Eugénie Martin
Née le 12 janvier 1861 à Saint-Ghislain (Belgique) et morte le 14 août 1946 à Lieusaint.
Lucia Martin – collection Jean-Philippe Secordel-Martin
Lucia est la fille de Félix Martin de Mortfontaine et d’Elvire Adolphine Berthe. Son oncle est le baron Thiéry, dont on connait les magasins Armand Thiéry. Elle épouse Jean-Baptiste Gobert, qui admire son père pour son sens du commerce et des affaires.
Après la création de la maison de retraite et de convalescence à Lieusaint, elle crée d’autres maisons pour les pauvres, notamment dans l’Est et en Belgique, et finance le « Home Gobert Martin » d’Andrimont (Belgique). Elle est connue pour avoir sans cesse fait don de son capital aux associations de charité, créé des fondations, etc. Serait-ce elle la véritable philanthrope du duo?
Après la mort de Jean-Baptiste en 1921, elle devient directrice des magasins À Réaumur. Ceux-ci connaissent un nouvel agrandissement en 1928, portant leur surface à 6000m2. Elle est également à l’origine de l’ouverture des succursales à Briey (Meurthe-et-Moselle), Metz, Nantes, et au Havre.
En 1937, à la mort de sa sœur Bertha dont elle était très proche, elle « adopte » les fils de celle-ci afin de leur permettre d’hériter de son patrimoine. Elle décède au château de la Barrière de Lieusaint, où elle s’était installée une fois veuve, à l’âge de 85 ans.
3. Bertha Marie Martin
Née le 21 septembre 1862 à Saint-Ghislain (Belgique) et morte le 2 octobre 1937 à Paris (IIe arrondissement).
Petite sœur de Lucia, elle épouse Jean Secordel, commerçant et entrepreneur lorrain comme Jean-Baptiste Gobert. Jean est à l’origine directeur de L’Épicerie centrale à Bruxelles, mais lorsque le couple Gobert-Martin s’installe à Paris, Bertha et Jean les suivent. Ils vivent rue Lauriston, avenue des Gobelins, puis dans les appartements de Réaumur.
Le couple a quatre enfants :
- 1887 : Georges Jean Secordel (voir 5.)
- 1888 : René Charles Secordel, qui meurt peu avant son premier anniversaire
- 1889 : Marguerite Jeanne Lucie Secordel (voir 7.)
- 1894 : André Charles Félix Secordel. Adopté par sa tante Lucia, il dirige les magasins À Réaumur avec Georges à partir de 1946, et devient « Secordel-Martin », comme lui.
Bertha est veuve à partir de 1923.
4. François Clément Lefort
Né le 6 novembre 1878 à Condé-sur-Aisne (Aisne), et mort le 28 janvier 1961 à Paris.
François et le fils d’Henry Lefort, capitaine du génie militaire et général né à Charleville-Mézières, avec des ascendants belges, et d’Élisabeth de Brye, née à Metz. Après une licence de droit, il entre à Sciences Po, dont il sort « diplômé et lauréat ».
Il est reçu au concours d’admission dans les services de la Banque de France (1899), où on l’attache au service des études économiques auprès du gouverneur de la Banque. Il démissionne en 1908. Entre temps, il a participé à la fondation du comité « France-Amérique », pour lequel il tient une chronique financière. En 1912, il crée la Société normande de banques et de dépôts. Pendant la guerre, il reçoit d’importantes responsabilités par le ministère des Finances, est envoyé en mission à Londres, et reçoit les félicitations personnelles du ministre pour son travail de propagande afin de faire souscrire les Français à l’emprunt national.
Affiche d’Abel Faivre (1915)
François Lefort épouse, à plus de quarante ans, la jeune Marguerite Secordel, avec qui il a une fille, Ghislaine, en 1926.
5. Georges Jean Secordel (puis Secordel-Martin)
Né le 7 février 1887 à Paris (XIIIe arrondissement) et mort le 11 juillet 1974 à Paris (IIe arrondissement).
Georges Secordel-Martin – collection Jean-Philippe Secordel-Martin
Fils aîné de Bertha Martin, Georges Secordel-Martin est adopté par sa tante Lucia, ce qui lui permet de prendre, à sa mort, la direction des magasins À Réaumur avec son frère André. Avant cela, il est désigné comme « négociant en nouveautés »… pour le compte des magasins Réaumur, bien sûr.
Décrit comme châtain aux yeux gris-bleu, il mesure 1m70. Nommé caporal puis sergent de réserve à la fin de son service (1911), il est mobilisé en 1914, au service automobile, puis à l’escadron du train. Après la guerre, il épouse Jeanne Lagriffoul à Coye-la-Forêt (Oise). Ils n’ont pas d’enfant.
Georges est surtout, nous l’avons dit, président-directeur des magasins À Réaumur de 1946 à 1961. Leur fermeture demande une gestion de l’important patrimoine immobilier de la famille : il devient donc directeur-général de la société « Réaumur Gobert-Martin », et occupe officiellement cette fonction jusqu’à sa mort, à 87 ans.
6. Jeanne « Andrée » Lagriffoul
Née le 25 février 1891 à Paris (XVIe arrondissement) et morte le 24 mars 1965 à Paris (IIe arrondissement).
Fille d’une Haute-Garonnaise de 45 ans qui ne la reconnaît qu’à sa majorité, et d’un père dont on ignore jusqu’au nom, c’est peu dire qu’Andrée Lagriffoul n’a pas eu une enfance idéale. Fille d’épiciers montés à Paris pour faire fortune, Victoire, la mère d’Andrée, lui a visiblement transmis quelque chose, puisque la petite épouse le négociant Georges Secordel en 1923.
Elle vit avec lui dans les appartements de Réaumur, sans enfants, mais avec des domestiques.
7. Marguerite Jeanne Louise Secordel
Née le 1er juillet 1892 à Paris (XVIe arrondissement) et morte le 16 février 1957 à Paris (XVIe arrondissement).
Fille de Jean Secordel et de Bertha Martin, Marguerite est donc la sœur de Georges et d’André, qui dirigent les magasins Réaumur à partir de 1946. Le commerce qu’elle exploite à Metz (depuis Paris) en deviendra une succursale.
Elle épouse, à Paris, Georges Marius Cornil (1920), élève de l’École supérieure de commerce, puis, après leur divorce, le vieux François Clément Lefort (1924), dont elle a une fille, Ghislaine.
À Lieusaint, le château de la Barrière, dont elle a hérité de sa tante, est abandonné : d’abord de force, aux mains des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale ; puis de gré, aux bonnes sœurs Salésiennes. En 1972, celles-ci, faute de moyens, le vendent à la société Berger, qui en fait une sinistre usine d’embouteillages de sirops. Le site est abandonné depuis 1995, et on ne reconnait plus vraiment les cartes postales d’époque.
Le château de la Barrière vers 1900 – domaine public
8. Ghislaine Elisabeth Berthe Jeanne Lefort
Née le 16 mars 1926 à Paris (XVIe arrondissement) et morte le 21 février 2017 à Paris (XVIe arrondissement).
Ghislaine Lefort est la dernière personne inhumée dans le caveau Gobert-Martin. Le caveau n’avait vraisemblablement pas été ouvert depuis la mort de son oncle Georges, soit près de 50 ans auparavant.
Elle est la fille de Marguerite Secordel et de François Clément Lefort. Après une enfance dans le XVIe, qu’elle passe à participer aux concours hebdomadaires proposés par le Figaro des enfants et un baccalauréat obtenu en 1944, elle devient avocate. Elle épouse Jacques Méïtés (1921-1998) le 10 avril 1956. Ils ont cinq enfants.
La façade du bâtiment qui abritait les grands magasins, aujourd’hui – Paris Promeneurs
La fortune des Gobert-Martin est aujourd’hui partagée entre les enfants et petits-enfants d’André Secordel et les enfants de Ghislaine Lefort. Elle serait bien plus dispersée si Lucia n’avait pas adopté les enfants de sa sœur !
Si vous souhaitez retracer, vous aussi, l’histoire de votre famille, n’hésitez pas à prendre rendez-vous !
Sources complémentaires :
Leborgne Dominique, Guide du promeneur 2e arrondissement, 1995
L’important travail de mémoire de Jean-Philippe Secordel-Martin sur le blog Histoire des Magasins « A Réaumur » (2007-2021)
Gobert Jean Baptiste sans oublier Martin Lucia… sur le blog Pouilly, des gens intéressants et d’autres moins
Le travail de Jérôme Besnard et mrouge1 sur Généanet