10 octobre 2024
Privé disparition

Intégration et disparitions : sur les traces des Galindo en Afrique du Nord

Dans le cadre du challenge UPro-G du mois d’août (« Un disparu jamais retrouvé »), je vous présente une famille urcitana1 qui a dû, comme tant d’autres, trouver une terre d’accueil pour sortir de la misère.

Los colonos españoles

Il y a une branche de ma famille sur laquelle je ne me suis jamais étendu ici, et ce n’est ni la moins intéressante ni la moins exotique. Pour en parler, revenons un peu en arrière… Si les Galindo, Jerez, Martinez, Fuentes et autres ont pu croiser mes autres branches, c’est parce qu’ils ont dû, comme mes ancêtres français, partir en Algérie. L’émigration espagnole y avait débuté dès la conquête française, et n’a pas cessé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. À l’instar des Italiens, il s’agit d’une émigration de proximité de populations très pauvres et rurales. Ils s’installent principalement dans l’Ouest algérien, alors que les Italiens se concentrent dans l’Est.

C’est ainsi que Francisco Galindo, pauvre cultivateur de Vera (près d’Almeria, en Andalousie) gagne les côtes algériennes entre 1876 et 1885. Il y emmène Ana Maria Martinez Marin, sa femme, et leurs trois premiers enfants. Ils vivent à Bou-Tlelis, à trente kilomètres d’Oran. Ils avaient été devancés de quelques années par José Fuentes, meunier d’Almeria, et Luisa « Luisir » del Aguila, de Murcie, qui donnent naissance à leur premier enfant à Oran en 1866. Ces mariages entre Espagnols ne sont pourtant pas encouragés par la France, qui entend franciser ses étrangers d’Algérie à force de mixité.

Francisco et Ana ont (au moins) six enfants :

  • Beatrix Galindo, née en 1871 à Oria (Almeria), mariée à un Espagnol
  • Agustin Miguel Galindo, mon ancêtre, né en 1873 à Garrucha (Almeria)
  • Luis Eustaquio Galindo, né en 1876 à Garrucha (Almeria), et assassiné à Marrakech en 1916. Marié à une Espagnole.
  • Francisco puis François Galindo, né en 1885 à Bou-Tlélis, près d’Oran, qui gardera de graves séquelles (notamment oculaires) de la Première Guerre mondiale. Marié à une Espagnole.
  • Marianna Galindo, née en 1888 à Bou-Tlélis
  • Juan Galindo, né en 1891 à Bou-Tlélis et mort en bas âge

Luis Eustaquio Galindo (1876-1916) – source Christine Pons

Les enfants de José et Luisir sont eux tous nés en Algérie :

  • Domingo Fuentes, né en 1866 à Oran, mort célibataire à 30 ans
  • Josefa Maria Fuentes, née en 1869 à Oran, mariée à un Espagnol
  • José puis Joseph Fuentes, né en 1872 à Mascara, marié à une Espagnole
  • Pedro Fuentes, né en 1875 à Oran et mort en bas âge
  • Pedro Rosendo Fuentes, né en 1877 à Oran, marié à une Espagnole
  • Matilde Rosario Fuentes, née en 1880 à Oran, mon ancêtre
  • Fulgencio Fuentes, né en 1883 à Oran, garde de lourdes séquelles (notamment oculaires) de la Première Guerre mondiale. Marié à une Espagnole
  • Angela Fuentes, née en 1886 à Oran. Mariée à un Espagnol.

Comme on peut le voir, chez nous, on reste frileux quant aux mariages mixtes, et l’on préfère rencontrer d’autres Espagnols. Cette génération (celle des enfants nés entre 1870 et 1891) verra tout de même quelques naturalisations, dans une volonté de s’intégrer et avec la conscience qu’on ne reverra pas l’Andalousie de sitôt.

Insouciance dérobée

Agustin Miguel Galindo et Matilde Rosario Fuentes se rencontrent donc au sein de la communauté espagnole en Algérie. Lui a 27 ans, il est cultivateur, elle en a à peine 20. Problème : Matilde tombe rapidement enceinte. Pourtant, chose rare à l’époque, ils ne pressent pas le mariage, et Anna Maria naît le 14 septembre 1902, fille naturelle d’Agustin et de Matilde, qui le déclarent en mairie. L’officier d’état civil, dans sa grande souplesse, barre simplement « son épouse » au moment d’inscrire le nom de Matilde. Ils célèbrent finalement leurs noces le 15 juillet 1903, peu avant (ou peu après) avoir mis un deuxième enfant en route…

Cet enfant sera mon arrière-arrière-grand-mère, Luisa Galindo. Ils en auront trois autres : Francisco, Matilde et Marie, la dernière née en 1909. La famille déménage alors à Oujda, à la frontière maroco-algérienne. C’est là qu’on perd la trace d’Agustin. La légende dit qu’il aurait été assassiné pendant la guerre du Rif entre la France, l’Espagne et le Maroc (1920-1926), et qu’il serait mort traîné par son cheval, le pied à l’étrier… Légende ou cruelle réalité ? Toujours est-il qu’il s’agit des seuls éléments dont je dispose, et les services diplomatiques que j’ai contactés ne semblent pas plus renseignés que moi.  

Luisa Galindo – collection famille Sandré

Même pas veuve !

Peu de temps avant la disparition de leur père, les aînées ont été mariées. Anna, en octobre 1919, quelques jours après ses 17 ans, avec un certain Michel Ferré. C’est pire pour Luisa. À 15 ans et 10 mois, elle est mariée à l’espagnol Manuel Salinas, qui en a 24, et qui est déjà orphelin. Mais l’idylle, à laquelle elle était sans doute peu consentante, est de courte durée : bien vite, Manuel disparaît sans laisser de trace. Est-il mort ? A-t-il été, comme son beau-père, « tué à l’ennemi » ?

Aucune information, aucune rumeur. Tout ce qu’on a pu me dire, c’est qu’on n’a plus jamais entendu parler de Manuel Salinas. Et que Luisa était préoccupée. Par la disparition de son mari ? Non ! Par le petit Georges qui pousse dans son ventre, et dont elle ne pourra pas dire qu’elle est la mère. En effet, elle n’est officiellement ni divorcée ni veuve, elle est même toujours, aux yeux de la loi et de l’état civil, Mme Luisa Salinas. Elle n’a donc pas le droit de déclarer un enfant d’un autre homme, et n’a visiblement aucune envie de faire croire que Georges est le fils de Salinas, puisqu’il est celui de son nouveau compagnon, Albert Sandré, 25 ans (elle en a alors 19).

C’est donc une situation inédite qui se présente : j’ai déjà vu mille fois, au cours de mes recherches, des enfants qui portaient le nom de leur mère et dont le père était « inconnu ». Là, pour la première fois, j’ai un enfant déclaré par son père, mais de mère inconnue ! Ce sera pareil pour leur deuxième enfant, Lucien, en 1925. Le troisième, René, meurt en bas âge.

Vingt ans à s’attendre

La situation étant ce qu’elle est, et Luisa ne parvenant pas à rendre officielle la disparition de Salinas, Albert va se trouver une situation « convenable » (pour l’époque, toujours) en épousant Natividad Estefania Moutte, une Catalane qui a déjà quarante ans, en 1927. La noce va durer onze ans, jusqu’à ce qu’enfin Luisa obtienne le droit de se remarier légalement. Albert divorce sur le champ, et épouse Luisa le 6 juillet 1938 à Casablanca.

Miracle pour miracle, le couple a même un quatrième enfant, vingt ans après la naissance de Georges. Et vit désormais un peu plus paisiblement, toujours à Casablanca, avec ses enfants, et bientôt ses petits-enfants. Matilde, la mère de Luisa, avec son accent si particulier dont les anciens se souviennent encore, n’habite pas loin (elle vivra, comme sa fille, jusqu’à 90 ans). La famille se stabilise, n’est plus contrainte au déménagement. Et n’attend plus de nouvelles des fantômes.

SPYRIDON

Sources complémentaires :
Kamel Kateb, Les immigrés espagnols dans les camps en Algérie (1939-1941), 2007
Kamel Kateb et Guy Brunet, Les Espagnols dans la région d’Oran au milieu du xixe siècle. Mariage, comportements matrimoniaux, liens familiaux et liens sociaux, 2018

Merci à ce cher cousin qu’est Frédéric Pendino et toutes les informations qu’il a pu m’apporter antérieurement à cet article.

  1. Urcitano(s), urcitana(s) : habitants d’Almeria ↩︎

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