Un petit tour à Roubaix, où l’on trouve, depuis trente ans, un fonds d’archives très spécialisé : il regroupe tout ce qui concerne les entreprises, syndicats, comités d’entreprises, organismes professionnels, et autres acteurs du monde du travail.
Jeudi, 13h. Ciel menaçant. Je suis devant le haut bâtiment de briques rouges, à trois minutes de la station de métro Eurotéléport. L’édifice est impossible à manquer. Je m’apprête à entrer aux Archives nationales du monde du travail, sans toutefois savoir ce qui m’attend. C’est un peu le cœur du métier de généalogiste : on sait toujours ce qu’on cherche, rarement ce qu’on va trouver.
ANMT – photographie personnelle
HISTORIQUE
Dès 1926, on prend conscience de la valeur des documents conservés par les entreprises : les archives départementales, notamment, récupèrent ceux qui leur semblent d’un intérêt particulier lorsque des entreprises ferment leurs portes. C’est après la guerre qu’est ajoutée, aux Archives Nationales[1], une section « archives d’entreprise ».
Quatre décennies plus tard, alors que l’intérêt pour ce patrimoine spécifique s’est accru, François Mitterrand lance le projet de doter le pays de cinq centres dédiés aux archives du monde du travail, dispersés entre les régions. Le premier projet est concrétisé dans le Nord-Pas-de-Calais, pas par hasard : c’est une région transformée par la fermeture des usines, et il faut trouver de quoi conserver toutes les archives des entreprises disparues.
En 1986, on commence à collecter les archives de la région et à les rassembler dans le bâtiment de l’ancienne usine Motte-Bossut. C’est un choix symbolique, car Motte-Bossut était une pointure du textile, dont l’usine a été inscrite comme Monument historique en 1978. Le 5 octobre 1993, les travaux sont terminés, et le Centre des archives du monde du travail est officiellement ouvert, et accessible au public.
Usine Motte-Bossut – Bibliothèque numérique de Roubaix
Finalement, le projet d’origine est abandonné, et aucun autre centre n’est créé : le Centre de Roubaix prend une dimension nationale et devient Archives nationales du monde du travail (nom fixé en 2007).
SUR LES LIEUX
Pas de surprises en entrant : un hôte d’accueil vous indique la marche à suivre, quasi identique à ce qu’on retrouve ailleurs (Archives départementales, Archives nationales…). On met toutes ses affaires dans un casier, à l’exception, si on le souhaite, d’un crayon de papier, de feuilles volantes, et de son ordinateur et téléphone (avec leurs chargeurs). On repart avec une clé, comme aux AD de Seine-et-Marne (aux AN, c’est un code secret qui ferme le casier). L’inscription se fait en salle de lecture.
L’hôte d’accueil me fait croire qu’il faut monter au seizième étage, mais je ne suis pas dupe, et gagne le premier. Au rez-de-chaussée, il y a souvent des expositions, mais la prochaine – Travailler en temps de guerre– était en cours d’installation.
Même pas besoin de GPS – photographie personnelle
J’ai croisé davantage de personnel que de visiteurs dans les couloirs et les escaliers. En salle de lecture, nous étions quatre, je crois, sans compter le président de salle et la personne chargée des inscriptions et de l’aide à la recherche.
CHERCHER-TROUVER
Malgré le peu de visiteurs, la salle de lecture est très spacieuse, tous comme les places individuelles, avec largement de quoi étaler ses documents ; et, en sus, des tables spécialement conçues spécialement pour lire des plans.
Outre les commandes de cotes, on peut consulter librement certains ouvrages, et évidemment les inventaires. J’ai fait un tour des étagères, où j’ai trouvé, en vrac :
- Des dictionnaires (des patrons, des architectes, des sigles)
- Divers usuels (guides pour les chercheurs, chronologies)
- Des livres d’histoire thématiques (de l’électricité, de la production thermique, du gaz en France, de l’architecture…)
- La collection Entreprises et Histoire
- La collection Le Maîtron
- Le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, en plus de vingt volumes
Parmi les milliers de documents d’archives conservées à Roubaix, une partie, assez représentative, est numérisée : consultables librement sur le site internet des Archives, on y trouve des documents attestant de l’histoire des entreprises, d’autres sur les mineurs de fond, les cheminots, et enfin, des photographies et des affiches.
Coupures de journaux – photographie personnelle
Sur place, on peut réserver :
- Des archives privées
- Des dossiers professionnels nominatifs
- Des documents comptables
- Des statuts
- Des plans, des projets…
- Des demandes d’autorisation, des procès-verbaux
- Plein d’autres documents qui concernent entreprises et travailleur.se.s !
UN DOSSIER NOMINATIF
J’avais réservé deux cotes sur place : la première est un dossier foncier, à propos de biens immobiliers au Maroc. Il m’a été indiqué qu’il y avait une demande spécifique à faire sur ce type de dossiers, et qu’il serait sans doute possible de le consulter d’ici deux ou trois mois. Comme je n’avais pas prévu de prolonger mon séjour ni de reporter cet article, je me suis d’abord contenté de l’autre document.
Celui-ci fait partie d’une large thématique intitulée Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, et constituée d’une importante collection de dossiers individuels, et également de registres d’accidents. Mon dossier se trouve dans la douzième partie de la section Compagnie de l’Ouest algérien, et concerne un possible ancêtre, Joseph Fuentes. Aucune autre information que ses nom et prénom n’étant précisée dans l’inventaire, il faudra ouvrir le dossier pour le savoir !
Celui-ci, intitulé Dossier matricule du personnel indique peu d’informations généalogiques, mais donne tout de même sa date de naissance, son lieu de naissance (Oran), et la date de son mariage (sans préciser le nom de l’heureuse élue).
La deuxième page fournit la liste des différents emplois, et, de façon plus détaillée, celle des postes occupés successivement par le travailleur au sein de l’entreprise. La suite est aussi intéressante que chargée : un « bulletin de notes » par année, suivi, pour chacun, d’observations détaillées sur la conduite et le travail du sieur Fuentes ! On constate que la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest algérien ne laissait rien au hasard en ce qui concerne ses employés.
Bulletin de notes – ANMT
Le dossier se clôt sur la liste des « punitions » reçues par l’employé… qui sont légion ! Il ne s’agit pas forcément de fautes graves ni de lourdes sanctions, mais chaque erreur, même tout à fait inconsciente, pouvait coûter un ou deux francs d’amende. La Compagnie surveillait décidément ses hommes de très près.
En ce qui me concerne, j’ai dans mon arbre un certain nombre de Joseph (ou José) Fuentes de la même branche ; le fils du doyen d’entre eux a quitté Almeria (Andalousie) pour l’Algérie afin de cultiver de meilleures terres au milieu du XIXe siècle. On trouve cinq homonymes en plus de ces deux-là dans leur descendance proche.
Le diagnostic est établi assez rapidement et sans équivoque : une fois la principale difficulté contournée (une erreur d’un an dans la date de naissance mentionnée en première page du dossier), on note que José Ramon Fuentes[2] est le fils de migrants espagnols originaires non pas d’Almeria mais d’Alicante, à 200 km de distance. Il y a donc fort peu de chances de cousinage, d’autant que le nom Fuentes est particulièrement courant.
UN DOSSIER D’ENTREPRISE
Comme il était encore tôt, j’ai parcouru les inventaires à la recherche d’un nouveau dossier, aidé par la personne dont c’était le rôle. J’ai décidé de rester en Algérie, et de chercher des dossiers concernant les mines de fer de Rouina, la compagnie EGA (Électricité et Gaz d’Algérie), ou les usines Lebon, car une partie non négligeable de ma famille est passée par ces trois entreprises. Je n’ai trouvé aucun dossier nominatif, voire aucun dossier tout court, et l’on m’expliqua que les dossiers et documents n’étaient fournis qu’au bon vouloir des entreprises, et que la présence ou non des archives recherchées étaient tout à fait aléatoire.
Je finis tout de même par tomber sur une cote intéressante : une documentation importante sur les mines de fer de Rouina, où ont travaillé mon arrière-arrière-grand-père, son frère, le beau-frère de sa femme, et deux de ses beaux-frères. Classée en série L, cette archive est détaillée comme suit dans l’inventaire :
J’ai parcouru le dossier assez rapidement, car j’avais déjà eu accès à la plupart des informations, sinon toutes, via un pdf publié par www.entreprisescoloniales.fr en 2015. Il était tout de même intéressant d’avoir les documents originaux entre les mains, ainsi que les centaines de coupures de journaux (principalement boursiers et économiques) rassemblées ici.
CONCLUSION
En sortant de là, je fus forcé de constater que le ciel de Roubaix avait mis ses menaces à exécution. Ce périple m’aura coûté de finir trempé jusqu’aux os, mais j’ai pu découvrir un nouveau lieu d’archives, riche d’une documentation très spécifique et témoin inestimable d’une époque, puisque les documents conservés concernent une période assez restreinte qui commence avec la révolution industrielle.
Allez-y, et servez-vous en jolies cartes postales, elles sont gratuites!
Cartes postales – photographie personnelle
LP
[1] Institution qui existe, elle, depuis la Révolution
[2] Devenu donc « Joseph Fuentes » dans son dossier de carrière, mais ça n’a rien de surprenant
Une réflexion sur « Les Archives nationales du monde du travail : ressources riches et méconnues »