14 mai 2024
caveau oblats brosse montceaux

Les oblats de Seine-et-Marne : des héros de la Résistance

Après le nord-ouest et son curé sénégalais, nous allons explorer le sud de la Seine-et-Marne, plus particulièrement le village de La Brosse-Montceaux, à la frontière avec le département de l’Yonne, connu grâce à ses cinq héros et martyrs du 24 juillet 1944.

En Seine-et-Marne, les actions répressives de la Gestapo furent légion et croissantes au fur et à mesure de l’avancée des Alliés. On se souvient des trente-six détenus de la prison de Fontainebleau, fusillés le 21 juillet et le 17 août 1944 à Arbonne-la-Forêt ; des onze résistants, âgés de 18 à 25 ans, fusillés le 25 août 1944 à Villeneuve-Saint-Denis ; des treize otages, FFI et civils, âgés de 16 à 51 ans, exécutés le même jour dans le parc de la mairie de Chelles.

J’ai décidé de concentrer mes efforts sur les événements du 24 juillet 1944 à La Brosse-Montceaux, que j’ai visité cette semaine.

Un peu de vocabulaire

En 1944, les oblats ne sont plus ces enfants qu’on confiait autrefois aux monastères. Le terme est utilisé pour désigner les laïcs, qui font donc partie du peuple, s’habillent comme ils le souhaitent, ne prononcent pas de vœux, mais « s’offrent » à un monastère.

Ceux qui nous intéressent aujourd’hui font partie de la congrégation de Marie-Immaculée, fondée en 1816. Celle-ci forme des missionnaires dans des scolasticats, qu’elle envoie ensuite prêcher la « bonne » parole aux quatre coins du globe, de Ceylan au Pôle Nord, du Congo au Laos, du Canada à l’Afrique du Sud. Les oblats sont répartis en maisons, ou scolasticats, comme celui La Brosse-Montceaux, en Seine-et-Marne, entre Sens et Fontainebleau.

On trouve, en plus des Frères scolastiques, des Pères professeurs, chargés des cours de philosophie et de théologie, et des Frères convers, qui eux ne s’occupent pas des tâches spirituelles, mais de la bonne tenue du monastère.

À La Brosse, la congrégation prend ses quartiers dans un château coquet (acheté en 1934) entouré d’immenses jardins, à l’écart du village, mais près des grands axes de communication, ce qui a fortement incité les réseaux de résistance à solliciter des hommes.

chateau de la Brosse-Montceaux

Château de La Brosse-Montceaux – Google Maps

Contexte

Dès 1941, les oblats de La Brosse sont entrés dans la Résistance. Des journaux, des faux papiers sont fabriqués au séminaire, mais tout est fait dans le secret : seuls les oblats eux-mêmes, et quelques religieux (le Père Letourneur et le Père Halgouët ont des contacts avec la Résistance, et le Père supérieur Tassel est au courant des activités) sont inclus.

À partir de 1943, ils sont requis pour surveiller, de nuit, la voie ferrée. Ils écoutent Radio-Londres, et sa fameuse émission Les Français parlent aux Français. Ils servent aussi de secouristes, brancardiers, donneurs de sang lorsque les conditions l’exigent, comme après le bombardement de la gare de Champigny, le 14 juillet 1944.

Quelques semaines plus tôt, un officier français arrivait depuis Londres en repérage : il fallait trouver des terrains propices à l’atterrissage ou au parachutage, afin de ravitailler la résistance en armes et en munitions. La première opération a lieu fin juin, en pleine nuit, à l’endroit annoncé : vingt conteneurs de cent kilos chacun dont le contenu est ensuite transporté jusqu’au cimetière pour être dissimulé dans le caveau des oblats. Les parachutes ne sont pas jetés, car leur étoffe est jugée précieuse. Ils sont mis dans les conteneurs, et cachés dans un puits de la propriété entourant le château.

Un autre parachutage a lieu, dans le courant du mois de juillet. L’opération se déroule à grand-peine, le chargement restant coincé dans les arbres, il est récupéré difficilement, ce qui ne manque pas d’attirer l’attention.

chateau de la Brosse-Montceaux

Château de La Brosse-Montceaux – photo personnelle

Cinq oblats

C’est le moment de vous présenter cinq oblats : ceux qui seront victimes de la barbarie, mais aussi de leur courage.

Le plus âgé d’entre eux était le Frère convers Joachim François Marie Nio, né à Saint-Jean-Brévelay[1] le 14 novembre 1898, deuxième d’une fratrie de trois. Il est issu d’une famille d’agriculteurs bretons. De petite taille (1m47), décrit comme « effacé, accueillant et serviable », il est devenu oblat à trente ans, après une jeunesse à aider ses parents dans les travaux agricoles. Il commence sa nouvelle vie monacale à Pontmain, dont seront issus de nombreux oblats de La Brosse, et passe ensuite quelques années à Liège avant de rejoindre la Seine-et-Marne. Le Frère Nio contribue au bon fonctionnement matériel du scolasticat, en s’occupant particulièrement de la porterie et de la cordonnerie.

Le Père Albert Lucien Joseph Piat, âgé de dix ans de moins, est lui né à Roubaix le 20 août 1909, petit dernier de la famille. On trouve parmi ses ancêtres, souvent nordistes mais parfois belges, un vaste inventaire de métiers, avec des laboureurs, peintres, tisserands, tailleurs, boulangers, entrepreneurs, cabaretières, repasseuses, chapeliers… Devenu oblat dès 18 ans, il fait ses études à Rome, où il est ordonné prêtre. À La Brosse, il est professeur d’Écritures saintes, mais continue de se former chaque semaine à l’Institut Catholique de Paris, notamment en langue allemande. C’est un professeur apprécié, décrit comme « très sensible, timide et réservé ». Le Père Piat est fait prisonnier à Montargis en 1939, et libéré en juillet 1940. Il s’implique aussitôt dans la Résistance.

Le Père Christian Marc Gilbert, lui, nous vient d’Asnières, tout près de Paris, où il est né le 10 mars 1912. Fils et frère d’instituteur.ice.s, il descend du côté maternel d’une famille de la Nièvre où l’on travaille le textile ou la farine. Il entre lui aussi dès ses 18 ans chez les oblats, et, comme son compère Piat, est ordonné prêtre à Rome, puis fait prisonnier. On l’envoie au stalag (camp de prisonniers) de Saint-Quentin, dont il ne sort qu’en 1941. Il est professeur de théologie morale à La Brosse, où il est décrit comme « distingué, discret, délicat, et profondément pieux ». La famille est frappée par le drame puisque son beau-frère Joseph Guinard, enseigne de vaisseau de 2e classe, meurt en 1945, à l’âge de 24 ans, alors qu’il est en service à bord de l’hydravion Le Dornier, qui s’écrase au large de Toulon. Joseph est fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume, alors qu’on honore le Père Gilbert avec une rue à son nom à Asnières.

On en sait moins sur les deux autres. Le Frère Lucien Marie Pierre Perrier, né le 18 juillet 1918 à Saint-Charles-la-Forêt, en Mayenne, fils d’un valet de chambre et d’une cuisinière. Il fréquente, à 100 kilomètres de là, le juniorat de Pontmain. Très patriote, il avait affirmé à ses parents le souhait de mourir pour la France. En première page de son carnet intime, il avait inscrit « Decet cariorem esse nobis patriam quam nosmetipsos », soit « La Patrie doit nous être plus chère que nous-mêmes ».

Le Frère Jean Arsène Nicolas Cuny est né à Blainville-sur-l’eau[2], dans l’Est, le 15 décembre 1912 ou plus probablement 1918[3]. Son père était un employé au chemin de fer de famille vosgeoise ; sa mère était couturière. Ayant vécu plusieurs années comme scout, puis à l’usine Peugeot, le Frère Cuny avait embrassé la vocation d’oblat sur le tard. Lui aussi est passé par Pontmain, mais en 1942, en tant que doyen de classe. Il est possible que le mari de sa sœur soit devenu oblat également, puisque celui-ci est décédé, de façon surprenante, à Pontmain.

5 oblats fusillés le 24 juillet 1944

Les cinq victimes – Archives départementales de Seine-et-Marne

Le drame

Il semble, mais cela n’est pas confirmé par toutes les sources, que c’est suite au deuxième parachutage, mal négocié, qu’on a arrêté l’agent « Renard » et son chauffeur, et qu’il avait sur lui, malgré les mises en garde, un carnet avec les noms et pseudonymes de ses camarades de résistance…

Le lendemain, 23 juillet 1944, le Père Gilbert, le Frère Perrier et le Frère Cuny apparaissent particulièrement inquiets et préoccupés, et cela est sans doute lié aux perquisitions dans la commune proche de Montereau rapportées par le premier d’entre eux.

Le 24 juillet, le SS Wilhelm Korff, ancien professeur de géographie à l’université de Magdebourg et précédé d’une réputation de tortionnaire, qui parle parfaitement français, dirige cent hommes de la Gestapo vers le château de La Brosse. On y cherche les Pères Halgouët et Letourneur, qui ont été dénoncés en tant que résistants. Ceux-ci sont absents, car ils sont partis fabriquer un abri sûr dans la forêt. Ils ont bien fait, car ça leur sauvera la vie.

Tour à tour, nos cinq oblats sont emmenés au sous-sol du château, dans le ciroir[4], et torturés. À la guise de Korff, on leur brise les jambes, on les flagelle au nerf de bœuf, on leur brûle les pieds au chalumeau, on les force au supplice de la baignoire (simulation de noyade) dans une marmite de cuisine. D’autres oblats sont réquisitionnés pour creuser : il faut retrouver les armes. Quand les cinq suppliciés reviennent, ils sont abîmés, le Père Piat ne peut même plus marcher.

Korff envoie six religieux creuser le vieux puits : comme ils n’en rapportent que des parachutes et des conteneurs, mais toujours pas d’armes, il perd patience. Il menace, un par un, les oblats de les abattre s’ils ne révèlent pas où elles sont cachées.

La première victime de sa colère est le Père Gilbert. Il se tient droit, les mains liées dans le dos, calme, le Père Delarue lui crie rapidement l’absolution. Il est abattu par Korff, d’une rafale de mitraillette, puis d’une balle dans la nuque.

La deuxième victime de sa colère est le Frère Cuny. Il a lui aussi les mains attachées, il bombe le torse, regarde son assassin dans les yeux. Il tombe en hurlant.

La troisième victime de sa colère est le Frère Perrier, les mains libres, qui les croise sur la poitrine au moment de tomber sous les balles.

La quatrième victime de sa colère est le Père Piat, qui ne peut plus marcher. Sa mort est retardée, car la mitraillette est enrayée. Il trace un signe de croix avant de partir.

La cinquième et dernière victime de sa colère est le Frère Nio, à moitié aveugle, à moitié sourd depuis les tortures. Il ne fait pas face à Korff.

Aucun d’eux n’a lâché un mot, face aux tortures ou aux mitraillettes.

mémorial de la Brosse-Montceaux

Mémorial de La Brosse-Montceaux – photo personnelle

La suite des événements

Si nos cinq oblats ont payé de leur vie leur silence, les autres auront plus de chances : Korff s’apprêtait à les abattre un par un, mais, comme dans un film, un colonel de la Wehrmacht serait sorti de nulle part à ce moment précis et demandé d’interrompre le massacre.

Les corps sont jetés dans le puits, puis ensevelis par la terre et les cailloux qui avaient été sortis pour fouiller ce même puits.

puit de la Brosse-Montceaux

Un vieux puits de La Brosse-Montceaux, comme il y en a dans toutes les rues du village – photo personnelle

Les quatre-vingt-six religieux qui ont assisté aux exécutions sont emmenés à Fontainebleau, à l’exception du plus âgé d’entre eux, le Frère Lepannetier. Ils sont transférés au camp de transit de Compiègne-Royallieu, depuis lequel ils doivent être déportés en Allemagne. Ils restent trois mois, puis sont transportés dans un wagon à bestiaux, mais celui-ci doit s’arrêter à Péronne, où ils seront libérés par les Alliés le 31 août.

Wilhelm Korff est condamné à mort en décembre 1953 par le tribunal militaire de Paris. À la demande des Pères Tassel et Deschâtelets, il est grâcié par le Président René Coty, et sa peine est commuée en prison à perpétuité. Dix ans plus tard, il est libéré au nom de la réconciliation.

Hommages aux martyrs

Un mémorial est inauguré à La Brosse-Montceaux dès le 6 juillet 1946 en l’honneur des victimes de la tuerie. Les corps de celles-ci ont bien sûr été sortis du puits, et enterrés dans le caveau des oblats le 16 octobre 1944, où étaient cachées les armes. On s’est précipité, ce jour-là, des villages alentour, pour leur rendre hommage.

L’affaire de La Brosse-Montceaux a eu un impact sur les populations locales, et plus généralement en France : elle est devenue le symbole de la résistance religieuse en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, si leur action a été approuvée par l’ensemble des patriotes et résistants de tous bords, elle a été parfois remise en cause par les autorités religieuses : on considère qu’ils ont participé à la lutte armée, ce qui était contraire à leurs devoirs.

Dans le parc de l’ancien scolasticat, on a planté cinq petites croix, pour ne pas oublier. Le nouveau propriétaire du château n’a, a priori, rien touché, même si je n’ai pas pu vérifier par mes yeux.

Tous les ans, le 24 juillet, une cérémonie en hommage à ces hommes est organisée. Jusqu’à sa mort, Jean Gueguen (1924-2021), survivant du 24 juillet 1944, quittait la Mayenne pour se rendre à La Brosse-Montceaux. Il était séminariste au moment du drame, et faisait partie de ceux qu’on avait envoyés creuser le puits à la recherche des armes. Sa position – au fond du puits – l’a évité d’assister au meurtre de cinq innocents.

Alain Drèze, ancien professeur d’histoire et maire socialiste de Montereau, a publié un roman historique, La Passion des oblats, articulé autour du 24 juillet 1944.

Panneau informatif à l’entrée du château – photo personnelle

Conclusion

Je ne connaissais pas l’histoire de La Brosse-Montceaux, et c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai enquêté sur les hommes au cœur de ce drame, puis que j’ai rédigé cet article afin de leur rendre hommage. J’ai également découvert un village très intéressant et agréable, même si j’ai regretté de ne pas pouvoir accéder au château et au lieu du massacre, alors que le panneau d’information invite généreusement à le faire. Pour corriger le tir, je ferai mon possible pour assister à la prochaine commémoration du 24 juillet !

LP

Sources :
Archives départementales de Seine-et-Marne, 1944, La Seine-et-Marne libérée (pdf)
Conseil général de Seine-et-Marne, 39-45 en Seine-et-Marne. Des lieux, des hommes…
Le Parisien, Ils étaient étendus là, ils ont été massacrés, 25 juillet 2012.
Lucien Wisselmann, Cinq oblats de la Brosse, 1998.
Bertrand Evelin, La Brosse-Montceaux 44 : les Oblats dans la résistance (YouTube), 2014.
Thosac J., Missionnaires et Gestapo, 1945.


[1] Morbihan
[2] Meurthe-et-Moselle
[3] Les documents donnent des réponses différentes
[4] Salle où l’on entretenait les chaussures

Une réflexion sur «  Les oblats de Seine-et-Marne : des héros de la Résistance  »

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