14 mai 2024
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Cartes postales et ébauches de recherches généalogiques, d’Athènes à la rue Cambon


J’ai plutôt pour habitude d’aller au bout de mes recherches et de mes enquêtes, ou du moins de rendre une copie qui, si elle peut toujours être enrichie et complétée, se veut entière et donne certaines réponses. Je vais m’autoriser ici à ouvrir plus de portes que je n’en refermerai : cela donnera peut-être (sans doute, même) une enquête en plusieurs parties ! Affaire à suivre…

Dans cet article, je vais vous présenter quatre cartes postales, dont trois qui sont liées entre elles à coup sûr. Je les ai achetées dans une toute petite brocante à Corbeil-Essonnes, au milieu d’une collection de centaines de cartes postales anciennes, de toutes les régions de France et même au-delà. Les trois premières, écrites en français, ont été envoyées de Grèce. La dernière est mystérieuse, mais le portrait de famille qu’elle arbore m’a fait concevoir le rêve insensé d’identifier les personnes présentes.

Présentation des cartes postales

Constantinople

La première carte est la plus riche en informations. Elle comporte une date, un dessin, une destinataire, et son expéditeur s’est montré prolixe, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Carte postale #1 – collection personnelle

Autour du dessin en noir et blanc légendé « temple de Jupiter olympien », elle dit :

18/8/08 Constantinople
Mademoiselle
C’est à ce moment que j’ai reçu votre carte. Je suis bien triste d’avoir apprendre le nouveau deuil qu’il vous est arrivé. Chère Mademoiselle il faut patience. Quoi faire c’est la volonte du bon Dieu de vous faire souffrir. J’aurais été bien heureux en couple si j’avais avec moi quelques camarades français. Je vous assure que j’aime beaucoup les français et les françaises. On croit que je suis un français. J’aurais preferé d’être à Paris une insignifiante personne qu’un docteur ici.
Mes salutations les plus distinguées.
G Choïdis

Avec pour destinataire :

Mademoiselle
Marcelle Gallot
10 rue Cambon
Paris

Athènes (1)

Quelques mois plus tard parvient à la même demoiselle Gallot une autre carte d’Orient, avec cette fois un dessin du temple de Thésée.

Carte postale #2 – collection personnelle

Là, son correspondant est beaucoup moins bavard :

Athènes, le 25-1-909.

Mes remerciements
M. Axélos

Athènes (2)

Enfin, une troisième carte : plus de monument historique, mais la photographie d’un skieur, de dos, s’apprêtant à dévaler la piste.

Carte postale #3 – collection personnelle

Sobriété, toujours :

Joyeuses Pâques
M. Axélos.
Athènes, le 5-4-909.

La destinataire se nomme à nouveau Marcelle Gallot, est toujours une « Mademoiselle », et n’a pas quitté le 10, rue Cambon, dans le 1er arrondissement. Rien ne change.

Sans adresse

En bonus, j’ai acheté une carte qui n’avait rien à voir avec celles de Grèce. C’est la photo qui a attiré ma curiosité, celle d’une femme et de son bébé.

Elle n’a vraisemblablement pas été envoyée : pas d’adresse, pas de texte, pas de signature, seulement une légende manuscrite au verso, en diagonale, presque à l’envers.

moi et Gilbert

Balbutiements

Marcelle

J’ai commencé avec ce qui me semblait le plus simple : l’information la plus complète, la plus précise. Marcelle Gallot. Un prénom, un nom, c’est net. On sait qu’elle vit à Paris, dans le Ier arrondissement, qu’elle est née au plus tard au début des années 1890 – on voit bien que la première carte n’est pas adressée à un enfant – et qu’elle n’est pas (encore ?) mariée en 1908-1909. Enfin, elle a vraisemblablement connu un deuil dans le courant de l’année 1908, avant le mois d’août.

Carte postale #1 (verso) – collection personnelle

À noter qu’aucune Marcelle Gallot n’est née dans le Ier arrondissement entre 1865 et 1903.

Plusieurs pistes se dégagent :

Marcelle Lucienne Gallot, originaire de la Meuse, 15 ans en 1908, et mariée en 1913 à Alexandre Strebelle. Celui-ci meurt à Paris (13e arrondissement) en 1925, à seulement 36 ans. Le couple vit alors à Orly. Ils ont quatre enfants, Jeanne Louise Strebelle (1919-1919), Louise Andrée Strebelle (1921-2003), Marcel Gaston Strebelle (1922-1996) ; et Madeleine Mireille Strebelle (1924).

Marcelle Alice Gallot, dite Michelyne (ou Micheline) Marsan, a 14 ans en 1908. Comme la précédente, elle paraît jeune, mais il ne faut rien exclure. Elle naît dans le XXe arrondissement de Paris, et passe son enfance chez ses parents, rue des Couronnes. Elle épouse à Paris (XVIIe arr.), en 1915, Guillermo « Willy » Manuel Blest-Gana, un fils de diplomate chilien qui la devance en âge de vingt-cinq ans. Ils vivent rue de Villiers, Marcelle ne travaille pas. Willy meurt à Boulogne-Billancourt en 1922. Suite à ce décès, Marcelle est condamnée pour « dénonciation calomnieuse » à six mois de prison et trois mille francs d’amende, réduits après deux appels à trois cents francs d’amende. Elle meurt en 1986 à Draveil.

Willy Blest-Gana et son violon. Agence Matisse (1912). Bibliothèque nationale de France.

Marcelle Juliette Gallot, 19 ans en 1908, est née à Pierrelez (Seine-et-Marne). En 1906, elle vit à Melun avec Élise, sa mère, où elle travaille comme modiste. En 1926, elle vit seule à Paris (XVe arrondissement). Décédée à Saint-Cloud en 1978.

Une autre Marcelle Gallot est sujette à débat : lors des recensements parisiens de 1931 et de 1936, elle vit, modiste célibataire, avec sa tante Marie Gaudé. Mais selon le premier, elle serait née en 1885 à Paris, et selon l’autre en 1891 en Saône-et-Loire !

Les quatre pistes sont intéressantes : la meusienne ne présente pas d’élément très convaincant, mais a le mérite de laisser beaucoup d’informations vérifiables ; ladite « Micheline Marsan » est évidemment dans le coup, puisqu’ayant épousé un fils de diplomate, elle a très bien pu fréquenter des éminences de tout le continent ; quant aux modistes, elles avaient souvent des revenus modestes, mais elles côtoyaient parfois du beau monde.

Les Grecs

D’abord, un Grec, ou deux ? J’ai d’abord pensé que les trois lettres étaient de M. Axelos (M pour Monsieur, ou pour Manolis ?), car les calligraphies se ressemblent. Je ne m’étais pas attardé sur le dernier mot de la lettre de 1908, car celui-ci m’était alors inconnu. En poussant un peu, je me suis aperçu que les noms Choïdis et Hoïdis existaient bel et bien. Ceux qui sont passés par la France sont cependant très difficiles à retrouver, mis à part une Lucie Hoïdis recensée à Paris en 1936 (39 ans), sur laquelle il n’y a quasiment aucune information.

Carte postale #1 – collection personnelle

Nous savons seulement que ce supposé G. Choïdis parle français malgré quelques difficultés de syntaxe, qu’il était à Constantinople en 1908, et qu’il était « docteur » selon ses dires.

Et Axelos, alors ?

Lui aussi parle français, mais on ignore avec quel niveau, car il n’en témoigne qu’en quelques mots sur lesdites cartes. Pour écrire régulièrement d’Athènes à une jeune Parisienne, on peut imaginer que ce n’est pas un petit paysan, pour toutes les raisons évoquées.

Des pistes limitées, mais plusieurs pistes. Un prénom nous aiderait bien ! Si seulement on pouvait être certains que le M désigne bien une initiale et non pas « Monsieur »…

Michael Axelos, 70 ans en 1839, est peut-être un peu âgé, non ? Il est consul de Turquie à Trieste à Gênes, et meurt à Athènes en 1922. Trois enfants : Ioannes (1874-1940), Arieta, Militiadis.

Miltiades Axelos, docteur en médecine, a 28 ans en 1909, a deux enfants : Kostas et Christos. Il meurt à Athènes en 1965. Son frère, Michael Axelos, 32 ans en 1909, a deux filles, Anna et Marianna. Il meurt de la tuberculose.

Dimitris Axelos, âgé d’environ 39 ans en 1909, a cinq enfants : Giorgos, Sevasti, Katerina, Thalia et Argyris.

On trouve dans les journaux de l’époque le mariage de Michel-Ange Axelos à Bois-Colombes en 1937. Il est le « beau-fils et fils » du docteur en médecine Raniero Papale (mort en 1949), également professeur agrégé à Naples. Il épouse Marguerite Godard, une fille d’ingénieur.

Raniero Papale – Arbre de Renato Papale (MyHeritage)

Nicolas Axelos, négociant, a 55 ans en 1909. Né à Athènes, il meurt célibataire en 1919 à Paris (tiens tiens…) au 24 rue Cambon (tiens tiens !), et est enterré au cimetière parisien de Bagneux.

Il serait intéressant de creuser les biographies de Michael, Miltiades et Dimitris, ainsi que de leurs enfants, puisqu’on a leurs noms : leurs fonctions collent avec notre histoire, même si nous n’avons pour le moment pas de trace d’un passage en France. La piste menant à Michel-Ange Axelos est plus concrète, puisqu’elle concerne le « fils » grec d’un grand médecin qui s’est marié en France. Il reste à résoudre le mystère de ce lien familial flou décrit dans le journal entre Papale et Axelos.

Mais je vais évidemment privilégier le dernier cité, Nicolas Axelos. Aurait-il habité la même rue que Marcelle Gallot (à dix ans d’écart) par hasard ?

Gilbert et elle

Comment dater une carte postale sur laquelle il n’y a aucune information ? D’abord on remarque la séparation au verso, qui permet d’écrire l’adresse sur le côté droit : cet indice nous permet d’affirmer que la carte a au plus 110 ans, puisque ce type de cartes postales a fait son apparition à la fin de l’année 1903. 1903, l’année où Kodak sort un appareil qui permet de réaliser un tirage « type carte postale », ce qui nous arrange bien, puisqu’il ne s’agit évidemment pas d’une carte typique vendue en kiosque.

Ensuite, on mesure : 9 centimètres sur 14. Ce format apparaît en 1895, ce qui ne nous apporte rien ; par contre, il est établi que la taille réglementaire devient, à partir des années 1940, 10.5 x 15 cm.  

1903-1943, on a déjà une petite idée de l’époque, mais ce n’est pas assez… Alors on va plus loin. Et l’on finit par tilter : des bords dentelés ! Quand est-ce qu’on trouve des bords dentelés sur les cartes postales ? Pas tout le temps, c’est certain. En effet : selon les spécialistes, la période est restreinte, entre les années 1930 et le début des années 1940. Et la coiffure de la jeune femme semble le confirmer…

Alors, un Gilbert né dans les années 30, facile, non ?

Non : en France, ils sont en moyenne quatre mille par an à voir le jour. Il y a donc une infinité de possibilités. Mission impossible ? Peut-être…

Nombre de Gilbert nés par année en France (1900-2020) – INSEE

Il n’y a pas grand-chose à faire de plus avec cette photo, le manque abyssal d’indices condamnant toute recherche sur un nom, un lieu… Dernière solution : l’avis de recherche !

Au boulot !

Ces cartes offrent autant de petits bouts d’histoires que de grands mystères : il y a donc encore beaucoup de travail pour remonter le fil. À partir de ces premières recherches que je vous ai présentées, je vais devoir me déplacer dans les services d’archives concernés par les quelques informations que je possède, et aussi dans les cimetières. Je pourrai aussi, avec un peu de chance, retrouver les descendants d’une partie de mes « suspects », qui sauront sans doute m’aiguiller.

N’hésitez pas à commenter si un détail que je n’aurais pas remarqué a attiré votre attention sur une des cartes postales !

Sources complémentaires
Geneanet : arbres de Nathalie Eichhorn, Tony Tralli, Markus Schönherr, Michel Cribier
Journal des débats politiques et littéraires du 27 janvier 1937
INSEE, Classement des prénoms en France depuis 1900
Aux pays de mes ancêtres (blog), Histoire de la carte postale, 2017
Cartacaro Indochine (blog), Dater une carte postale

Merci à Lucie et à Julie pour leur œil avisé en ce qui concerne la photographie 😌 ; ainsi qu’à @ch51 et Christian Soyer pour leur réactivité !

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