15 mai 2024
Getty - médecins

Raoul Kourilsky, mille fois décoré

Pour continuer cette série sur les figures méconnues de Seine-et-Marne, je me suis intéressé au parcours d’un fils et père de médecin(s), héros d’un jour au cours d’un quotidien déjà bien rempli.

Généalogie : un Erasmus prolongé

Le dénommé Raoul Georges Kourilsky naît le 19 juillet 1899 à Bombon, un village rural de Seine-et-Marne, à vingt kilomètres de Melun. Ses parents sont Mottel (devenu Michel) Kourilsky (1868-1917), naturalisé à peine un mois plus tôt, et la jeune orpheline Eugénie Marie Oudart (1880-1958). Si les ancêtres d’Eugénie sont des Seine-et-Marnais purs et durs, le Dr Kourilsky a quitté Odessa, une ville ukrainienne très cosmopolite, où l’on parle français depuis longtemps, pour étudier à Paris. Le père de Mottel était un des très nombreux juifs polonais expatriés à Odessa. Mottel, orthodoxe par sa mère, abandonne sa religion pour épouser Eugénie.

Mais comment a-t-il atterri Seine-et-Marne ? Tout simplement à cause d’une petite annonce repérée par Mottel lorsqu’il était étudiant : « Le Châtelet-en-Brie cherche médecin », offrant une calèche et des chevaux au volontaire.

Bulletin des Lois n.3347, p.224

Raoul aura un frère, l’assureur Raymond Kourilsky (1900-1978), et une sœur, Andrée Kourilsky (1903-1964), épouse Porta. On sait, grâce aux registres matricules, que Raymond est beaucoup plus brun que son frère, châtain aux yeux bleu-vert.

Vie avant la guerre : les premiers honneurs

Après la naissance de leurs trois enfants, les Kourilsky retournent à Paris dans leur appartement de la rue Cavalotti, où Raoul continuera à vivre même après la mort de son paternel, peut-être jusqu’à son mariage en 1931.

Raoul et Raymond, en raison de leur âge, échappent à la conscription pour la Première Guerre mondiale, et font leur service après la fin des hostilités. Si Raymond étudie à Polytechnique, Raoul choisit lui la voie du père, et rêve de devenir un grand médecin : il obtient ainsi plusieurs sursis au cours de sa carrière militaire. Il gravit cependant les échelons dans l’armée jusqu’au grade de médecin-capitaine (1935), en même temps qu’il s’impose dans le monde médical : de chef de clinique à la faculté de médecine de Paris (1927), il passe ensuite chef de laboratoire de recherches de la clinique de propédeutique (1934), puis médecin chef de service à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (1936). Notons qu’il obtient dès 1922 (!) la médaille d’honneur des épidémies, mais il est difficile de savoir si elle concernait la grippe espagnole, le typhus, ou la peste, tant les trois fléaux se sont disputé les gros titres au tournant des twenties.

Il épouse en 1931 une consœur médecin, Simone Develay, qui a trente ans. Ils ont six enfants : Françoise en 1933, François en 1934, Marie-Thérèse en 1936, Élisabeth vers 1940. Après l’achat par le couple d’une maison à Blandy-les-Tours, Philippe naît en 1942, et Olivier en 1945. Simone passera toute sa vie aux côtés de Raoul, faisant plus que l’assister dans ses travaux de recherche.

« Mon père était chef de service à l’hôpital Saint-Antoine. Une salle et un bâtiment de l’hôpital portent aujourd’hui son nom. Il aurait été juste d’y associer le nom de ma mère, médecin elle-même et qui a travaillé toute sa vie à ses côtés. Ils formaient un couple extraordinaire et lumineux. La réussite de mon père n’aurait pas été possible sans elle. »
Olivier Kourilsky

Salingros, le sacrifié

18 août 1944, peu avant 14h. Rassemblé au café Les Cent Tickets à Blandy-les-Tours (Seine-et-Marne), un petit groupe de résistants, qui a pour habitude de se réunir ici, se fait surprendre par une centaine de soldats allemands. Les résistants débusqués parviennent à s’enfuir, au prix de la vie d’un homme : Maurice Salingros, qui fait barrage de son corps. Criblé de balles, il tombe héroïquement, ayant sauvé la vie de tous ses amis et camarades de lutte.

Collection personnelle (2023)

Né le 4 février 1913 à Paris (XIVe), Maurice Albert Salingros était le fils de Marcel Clément Salingros (1884-1914), garçon de café picard Mort pour la France, et de Marie Agnès Félicie Moura (1887- ?), née au pied des Pyrénées et morte entre les deux guerres. Il rejoint Étienne Davaille, Gaston Solas, Bernard Ourteau et Antonio Pedro au rang des Morts pour la France de Blandy-les-Tours lors de la Seconde Guerre mondiale.

La commune, en plus du classique monument aux morts, a fait poser une plaque en son honneur à l’ancien emplacement du café, là où Maurice Salingros fut abattu. Son épouse, Albertine Latte, sera veuve pendant soixante-six ans. Elle est enterrée à ses côtés en 2010.

Tombe de Maurice Salingros et Albertine Latte – Cimetière de Blandy-les-Tours

Miracle en V.O.

Revenons à notre histoire : les assaillants, vexés d’avoir manqué leur cible de peu, n’en restent pas là. Les Blandynois qui avaient le malheur d’être de sortie dans le quartier à l’heure de l’attaque sont pris, et mis en ligne pour être abattus. L’histoire gardera secrets les mots qui sont échangés à ce moment-là, mais il est établi que c’est le docteur Raoul Kourilsky qui prend la parole – en allemand – et négocie la grâce pour les otages condamnés. Ils s’en sortent tous indemnes, après cinq heures de négociations et l’arrivée d’aviateurs anglais.

Collection personnelle (2023)

Couvert d’honneurs, avec une rue à son nom (comme l’auront plus tard de nombreux hôpitaux et services d’hôpital, pour d’autres raisons), le docteur Kourilsky ne va pourtant pas se reposer.

Profession du père (mais pas que)

Le chercheur poursuit ses travaux, et fonde avec ses collègues la prestigieuse association Claude-Bernard, qui a notamment pour but d’attribuer aux hôpitaux des centres de recherche, et ainsi d’encourager fortement le lien entre travaux de laboratoire et questions de santé publique. Elle est dissoute en 2003, mais son influence sur l’évolution de la recherche médicale n’est plus à prouver. Le professeur Kourilsky est également consacré par la Légion d’honneur, dont il est fait chevalier en janvier 1947, puis officier en janvier 1953.

Légion d’honneur de Raoul Georges Kourilsky – Base Léonore

Le métier a visiblement contaminé toute la famille. Ainsi, François, formé aux États-Unis, devient un chercheur important en immunologie et en cancérologie, et même président, avec succès, du CNRS. Elisabeth est professeure d’endocrinologie. Philippe a été directeur de recherche au CNRS, puis professeur de biologie au collège de France. Olivier, avant de se lancer dans le polar, était néphrologue. La seule des enfants à ne pas avoir attrapé le virus, Marie-Thérèse, est devenue « l’une des meilleures spécialistes des questions sociales en France » selon Jacques Delors.

Raoul Kourilsky s’éteint le 22 septembre 1977 à Blandy-les-Tours, à l’âge de 78 ans.

Photographie de Simone Develay et Raoul Kourilsky, publiée par Olivier Kourilsky en 2022 sur le réseau LinkedIn

Sources :
Collectif, Liste des docteurs en médecine, officiers de santé, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens, 1913
Haroche Aurélie, Fils prodige d’une famille en or, 2014
Kourilsky Olivier, La médecine sans compter, 2019
Noblecourt Michel, La mort de Marie-Thérèse Join-Lambert, ancienne conseillère sociale de Michel Rocard, dans Le Monde, 2023
Auteur inconnu, Le Docteur Kourilsky, sur blandy77.free.fr, date inconnue

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *