Biographie succincte d’un des as de l’aviation française, qui vécut à cent à l’heure – ou plutôt à « Mach 1 »1 .
Intégré sans délai
1905. Wladimir Rozanoff et sa compagne Anna Semenoff appartiennent à la haute société russe. Ils mènent une existence bourgeoise à Varsovie, car la Pologne est alors sous tutelle soviétique. Cependant, face à l’antisémitisme grandissant et à l’approche de la Révolution d’octobre 1917, Anna fuit avec son fils, Constantin « Kostia » Wladimir Rozanoff, âgé de 12 ans. Il est difficile de savoir si Kostia avait des frères et sœurs, tant les sources sur cette période sont maigres – le nom de ses parents a déjà été compliqué à retrouver. En tout cas, en 1935, Anna Semenoff vit toujours à Paris, dans une petite impasse du XVIIIe arrondissement. En 1927, alors étudiant à l’École Centrale des arts et manufactures, où il obtiendra bientôt son diplôme d’ingénieur, Constantin Rozanoff est naturalisé français. Il vit dans le XVe, puis le XVIe arrondissement.
Sa passion pour l’aviation commence à prendre forme alors qu’il est appelé à l’armée : il sert dans l’aviation, et rejoint ensuite, grâce à son diplôme d’ingénieur, l’école SUPAERO. Constantin Rozanoff est maintenant un vrai pilote ! En 1935, il intègre le Centre d’essais des matériels aéronautiques de Villacoublay, dont il devient rapidement « capitaine aviateur ». Il sera même envoyé en Espagne pendant la guerre civile, afin de tester des appareils.
J.O. du 9 mars 1929 – Gallica
C’est cette même année que Kostia s’engage avec Madeleine Denise Germaine Cayrou. La jeune femme de 24 ans est née à Paris et vit chez ses parents, natifs de l’Aveyron, dans le septième arrondissement. Ils habiteront l’appartement qu’occupait déjà Constantin, au 16 rue du Général Niox, dans le seizième.
Recensement de 1936 – Paris XVIe
Le maître de l’air
Le centre d’essais étant lié à l’armée, son travail est rapidement remarqué, et on le gratifie, dès 1938… de la Légion d’honneur, dont il est rapidement promu officier ! Mais ce n’est pas tout, car deux mois plus tard, la médaille vermeil de la société d’éducation et d’encouragement « Arts, Sciences, Lettres », lui est remise. L’événement est relaté dans Les Nouvelles de Versailles du 25 avril 1938, qui le décrit comme « un des meilleurs pilotes d’essai » du centre de Villacoublay. La presse spécialisée commence à s’intéresser à lui, comme l’Aérophile, Les Ailes, ou Aviation Magazine.
J.O. du 5 janvier 1940
Néanmoins, si ses qualités de pilote sont indiscutables, c’est la Seconde Guerre mondiale qui va mettre la lumière sur son courage et son héroïsme. En 1940, Kostia Rozanoff a 35 ans, et veut aider son pays d’adoption en allant au front. Il est alors nommé commandant, et abat deux avions de la Luftwaffe à bord de son « Curtis P-36 Hawk » américain.
J.O. du 17 septembre 1940
Après l’Occupation, il participe aux opérations alliées en Afrique du Nord, puis gagne Londres, où il est promu lieutenant-colonel et reprend ses activités de pilote d’essai. Il fera même un séjour aux États-Unis, là aussi pour participer à des essais.
Les ailes coupées
Après la guerre, Kostia quitte l’armée pour diriger la base aérienne de Mont-de-Marsan, puis devient pilote en chef pour les appareils de son ami Marcel Dassault. Il est maintenant connu et reconnu comme un as de l’aviation, qu’on appelle volontiers « Colonel » ou « Capitaine ». Il vole sur ce qui est alors la plus grande piste d’Europe, à la base aérienne de Brétigny-sur-Orge (non loin de la future… rue Marcel-Dassault, du nom de son employeur). Il y côtoie les célèbres René Leduc, Jacqueline Auriol, Maryse Bastié… Les journaux n’ont rien de mieux à faire que de relater ses exploits puisque, comme ils le déplorent, il reste muet sur sa vie privée. En 1953, il reçoit le titre de grand officier de la Légion d’honneur, un an après avoir franchi le mur du son au-dessus de Paris, ce qui l’a fait connaître du grand public.
Constantin Wladimir Rozanoff – traditions-air.fr
En 1954, le mensuel Aviation Magazine ne manque pas, tous les 15 du mois, de rapporter les nouveaux essais de Rozanoff sur le fameux « Mystère IV B », un appareil de chez Dassault à moteur Rolls-Royce, particulièrement attendu par les amateurs pour sa puissance et ses innovations.
C’est dans ce même « Mystère IV B » que Constantin Rozanoff va se tuer, lui qui avait échappé à la mort par deux fois en essais, la première en 1937. La nouvelle traverse l’Atlantique : le Santa Cruz Sentinel l’annonce dès le lendemain de l’accident, survenu lors d’une démonstration sur la piste de Melun-Villaroche devant un parterre d’admirateurs, dont le président du Conseil, René Pleven, et le ministre des approvisionnements britannique, Duncan Sandys (gendre de Winston Churchill). À basse altitude, et rencontrant de violentes rafales, Rozanoff n’a vraisemblablement pas pu empêcher une aile de toucher le sol, ce qui a entraîné le crash, puis l’explosion de l’appareil, le tuant sur le coup.
Santa Cruz Sentinel (Californie), 4 avril 1954
« Une perte inestimable pour l’aviation »
Les hommes se multiplient dès lors, et les superlatifs ne manquent pas. Kostia Rozanoff, toujours décrit comme un homme d’une discrétion et d’une humilité certaines, aurait sans doute trouvé cela exagéré, tout comme les immenses stèles dressées en son honneur.
Stèle de Constantin Rozanoff à Mont-de-Marsan – aerosteles.net
À ses obsèques, célébrées, comme pour tous les militaires, à la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides, sont présents René Pleven et Duncan Sandys, qui ont assisté à la tragédie, mais aussi les généraux Fay et Valin, le ministre de l’Air, ainsi qu’une ribambelle de militaires et de membres du groupe Dassault, dont Marcel Dassault lui-même. Son patron et ami résume la notoriété du pilote en ces mots : « Tout le monde vous connaît ». Le corps de Rozanoff repose au cimetière de Passy, où sa compagne Madeleine ne l’a rejoint que quarante-trois ans plus tard.
Le nom de Rozanoff est donné à la base aérienne de Mont-de-Marsan, ainsi qu’à l’avenue attenante, et à une rue parisienne (douzième arrondissement). Une stèle est érigée sur la base de Melun-Villaroche, à l’endroit même de l’accident fatal au pilote.
La presse spécialisée ne l’oublie pas, et continue de le célébrer année après année.
Constantin Wladimir Rozanoff – Les Ailes du 18 juin 1949
Sources :
Marcel Aufrère, La fête annuelle de la société d’éducation et d’encouragement « Arts, Sciences, Lettres » , Les Nouvelles de Versailles du 25 avril 1938
Anonyme, Le Colonel Rozanoff, les Ailes du 18 juin 1949
Anonyme, Le colonel Rozanoff grand officier de la Légion d’honneur, La Sentinelle (La Chaux-de-Fonds, Suisse), du 28 août 1953 Anonyme, Marcel Dassault « Mystère IV B », dans Aviation Magazine du 15 janvier 1954
Anonyme, Le « Mystère IV B » supersonique en palier dans Aviation Magazine du 15 mars 1954
Anonyme, Jet Crash in Paris Kills One, Misses Officials, dans le Santa Cruz Sentinel du 4 avril 1954
Anonyme, L’Adieu à Rozanoff dans les Ailes du 17 avril 1954
À mon grand-père et ses coucous 💜
- Mach 1 désigne la vitesse à laquelle on franchit le mur du son, soit 340m/s ↩︎